Interview – Coura Carine Sène,  Directrice régionale de Wave : « Notre modèle économique, en plus d’être viable, est désormais devenu une référence dans la région »

Dans cet entretien exclusif que Coura Carine Séne, Directrice régionale de Wave a accordé à Challenges économiques, elle y aborde plusieurs questions essentielles dans le milieu de la finance digitale. Notamment la stratégie de coûts, les relations avec les autres opérateurs sur le marché et le régulateur, les projections de Wave entre autres.

Votre stratégie de coûts très abordables dans les opérations de  transfert d’argent mobile est aujourd’hui imitée par presque tous les opérateurs. Certains vont même plus loin en baissant leurs coûts de manière drastique. Cette situation ne risque-t-elle pas de détruire carrément le marché ?

La stratégie mise en œuvre par Wave a pour mission de fortement contribuer à l’inclusion financière et sociale en éliminant les freins constatés lors de son entrée sur le marché. Rendre les services financiers drastiquement abordables est indispensable pour inclure davantage de personnes exclues. Nous nous sommes donc basés sur la technologie pour réduire nos coûts d’opération afin de permettre à des millions de personnes exclues de bénéficier de services financiers de base universels et quotidiens comme envoyer de l’argent, épargner, payer ses factures et ses achats. Notre principe est et restera toujours de faire payer en toute transparence le juste prix au client, qu’il soit particulier ou entreprise, pour le service que nous fournissons. Si cette stratégie résonne chez nos concurrents au point de les faire suivre l’élan que Wave a créé, c’est tant mieux car rien ne se perd ni ne se détruit (Ndlr : les concurrents accusent Wave de détruire le marché), c’est juste que tout se transforme. Et le secteur de la finance digitale est actuellement en train de se transformer pour évoluer vers plus d’équilibre pour toute la chaîne de valeur qui, on le rappelle, commence par le client.

Vous avez réussi à  appliquer des stratégies de conquête de marché très innovantes, ce qui vous a permis de vous imposer comme l’un des leaders sur le marché du mobile money. Quelle est la suite pour Wave ?

La suite, on y est déjà ! Nous avons désormais notre licence EME (Établissement Émetteur de Monnaie Électronique), délivrée par la BCEAO en avril 2022 et nous sommes en train de finaliser toutes les opérations nous permettant de lancer officiellement les activités de Wave Digital Finance qui désormais portera la vision de transformation de la finance digitale de Wave en toute autonomie, avec des produits et services de nouvelle génération. Par cela on attend la démocratisation des paiements digitaux, l’accès au prêt et à l’épargne numérisés en partenariat avec des établissements de crédit, l’interopérabilité, et bien d’autres services, aussi bien au Sénégal que dans tous les pays dans lesquels Wave opère dans la zone Uemoa.

L’opérateur de télécommunications leader sur le marché refuse toujours de vous permettre de vendre certains de ses services et cela malgré les décisions du régulateur qui vous sont favorables, pourquoi ce dossier n’avance pas et quelles sont les incidences que cette situation a dans votre développement ?

Pour rappel, nous avons pu permettre à nos clients de s’approvisionner en crédit téléphonique à partir de notre application quel que soit leur opérateur de téléphonie. Ces intégrations avaient été faites en toute conformité à l’époque, soit en direct quand l’opérateur le permettait, soit via des intermédiaires dûment accrédités par les opérateurs.

Grande a été notre surprise de voir les conditions se dégrader puis l’accès être purement et simplement coupé dès que certains volumes ont été atteints. Le contentieux est toujours en cours d’instruction au niveau du régulateur qui comme vous le rappelez avait déjà émis un premier jugement favorable à Wave, en Juin 2021, en se basant sur les principes de non-discrimination érigés dans le code des télécommunications.

Plus d’une année après, le service n’est toujours pas disponible et vous êtes en droit de vous poser des questions. L’explication est très simple : nos futurs partenaires n’ont cessé de soulever l’une après l’autre de nouvelles exigences dont le but est de décourager la partie adverse. Nous tenons à vous rassurer qu’au-delà du préjudice commercial subi par Wave, nous continuons à nous battre pour que les principes d’équité et de non-discrimination prônés par le code des télécommunications, soient appliqués dans toute leur rigueur. Ainsi, nous avons pu, soit satisfaire, soit rejeter avec l’approbation du régulateur toutes les demandes complémentaires des opérateurs concernés. Au moment où je vous parle, rien ne s’oppose plus à l’ouverture du service que nous attendons avec impatience et avec  plus de confiance au régulateur.

Pour répondre complètement à votre question, la privation du droit de faire bénéficier à nos clients de l’achat de crédit téléphonique via leur application Wave est injuste et les conséquences sont désastreuses, aussi bien sur la confiance du client au marché (Wave et opérateurs de téléphonie mobile confondus, car je le rappelle, ce sont des clients que nous avons en commun), que sur sa confiance au système de régulation de manière générale.

Sur le plan de notre développement commercial, nous avons su être résilients et innovants, pour aller chercher d’autres produits et services attendus par les clients, et pour aussi nous étendre sur d’autres marchés comme la Côte d’Ivoire en attendant que ce contentieux, que l’on savait long, soit résolu. Nous n’avons jamais baissé les bras et nous nous excusons fortement auprès de nos clients pour le désagrément causé mais nous les assurons de notre détermination même si nous ne pouvons pas communiquer sur cette situation comme nous l’aurions souhaité et comme ils sont en droit de s’y attendre.

Au-delà des incidences sur Wave, quelle est la portée que cette situation pourrait avoir pour d’autres fintechs ou même la signification sur les relations commerciales entre des entreprises comme Wave et les opérateurs de télécommunications?

Comme je l’ai évoqué plus haut, cette situation est fâcheuse à bien des égards. D’abord envers le consommateur qui a des droits consacrés par les différentes réglementations et qui s’en voit privé. Cela entraîne de facto un manque de confiance qui est négatif pour le secteur tout entier à long terme. Ensuite pour l’écosystème, c’est -à -dire les fintechs et les banques qui proposent des services financiers basés sur le mobile, les régulateurs et même les opérateurs de téléphonie mobile eux-mêmes.

Ceci n’est pas un fait nouveau et rappelle le combat pour la libéralisation du code USSD. A chaque fois que les opérateurs de téléphonie mobile vont se retrouver en face d’acteurs plus petits et plus agiles, offrant des services à valeur ajoutée aux consommateurs, le problème se posera. Les services de télécommunications sont la base de la transformation digitale et de manière innée, les opérateurs de téléphonie mobile se retrouvent être les principaux fournisseurs de service et partenaires des acteurs de la transformation digitale tout en ayant également l’ambition justifiée d’être eux-mêmes acteurs de cette transformation. Les principes de non-discrimination et d’accès équitable sont donc essentiels et il s’agit donc pour ces acteurs non opérateurs de téléphonie mobile, de sortir du bilatéralisme et de se tourner vers les régulateurs même si les procédures sont longues. Cela permet de faire évoluer le Code des télécommunications mais aussi les différentes réglementations avec les réalités du marché et ainsi garantir leur pertinence, permettre les innovations et assurer la compétitivité de notre économie sur le plan mondial.

Allez-vous entreprendre des actions pour pousser Orange a  respecté les décisions du régulateur ?

C’est ce que nous n’avons cessé de faire depuis le début de cette affaire avec la Sonatel. Nous comprenons que pour les clients, qui je le rappelle encore, sont nos clients en commun et pour lesquels on devrait tout entreprendre pour les satisfaire, cela peut paraître long. Honnêtement, ça l’est pour nous aussi mais nous restons résilients, sereins et combatifs pour que le service soit à nouveau disponible. Nous n’avons pas communiqué sur les actions en cours depuis juin 2021, par respect pour le régulateur qui ne ménage pas ses efforts, dans le cadre réglementaire, pour faire respecter ses décisions. Nous comprenons que les choses se fassent graduellement et nous ne renoncerons jamais à notre droit inscrit dans le code des télécommunications qui est le résultat de combats antérieurs à l’existence de Wave. Nous devons continuer ces combats par respect pour nos prédécesseurs et pour tous les fournisseurs de service à valeur ajoutée, mais également et surtout, par respect pour nos clients qui nous font confiance en nous confiant leur argent.

Quid des autres fintechs, et agrégateurs ? Qu’en est-il de la collaboration avec eux?

Nous avons longtemps opéré en partenariat avec les banques UBA et Ecobank au Sénégal, ce qui veut dire que nous avions un statut de distributeur de monnaie électronique émise par ces banques au même titre que les autres fintechs. Dans ce cadre, la réglementation mettait beaucoup de limites aux types de partenariats pouvant être noués avec les autres acteurs de l’écosystème. Aujourd’hui que nous sommes nous-mêmes émetteurs de monnaie électronique, les possibilités se sont élargies et nous avons mis en place une politique qui nous permettrait de collaborer avec les autres fintechs tout en respectant la réglementation et assurer notre viabilité. Nos APIs de paiement et de dépôt ont donc été mises à la disposition aussi bien des marchands en ligne que des autres fintechs à des conditions qui nous permettent d’en assurer la conformité et la pérennité.

Wave a signé des conventions notamment avec la SFI,  quel sens faut-il donner à cette démarche?

Effectivement, la SFI a décidé de nous accompagner à hauteur de 60 milliards de francs CFA afin de nous permettre de réaliser nos ambitions d’inclusion financière. En gagnant la confiance de millions de Sénégalais et d’Ivoiriens qui utilisent nos services au quotidien, de dizaines de milliers d’agents et de nombreuses entreprises, nous avons réussi à démontrer que notre modèle économique en plus d’être viable était désormais devenu une référence dans la région. Nous nous réjouissons de cette marque de confiance de la part de la SFI qui a également été un tournant dans la vie de notre entreprise et le passage à niveau de nos activités au Sénégal et en Côte d’Ivoire où nous travaillons d’arrache-pied à diversifier notre offre de services.

Entretien réalisé par Aliou Kane Ndiaye (Challenges économiques)