Contribution : Mbougar et l’exagération sénégalaise

C’est d’un air amusé que je lis les réactions outrées envers les commentaires critiques sur Mouhamed Mbougar Sarr, frais lauréat du Prix Goncourt pour son roman « La plus secrète mémoire des hommes » (Ed. Philippe Rey-Jimsaan).

Ces commentateurs sur les réseaux sociaux reprochent au talentueux auteur sénégalais une supposée apologie de l’homosexualité dans un de ses romains – « De purs hommes », paru en 2018, et dans une interview au journal français Le Monde, datée de la même année. D’autres pourraient en retour leur tenir grief d’homophobie. Ainsi va le monde… Et c’est pour cela que je souris de la colère des soutiens « facebookiens » de Sarr, un peu trop irritables.

Au passage, précisons que ces deux camps que nous évoquons sont exclusivement composés de compatriotes sénégalais.

On parle souvent de l’exception sénégalaise, mais le Sénégal est toujours situé sur la planète terre, que l’on sache. Et sur cette planète, et à l’image de ce qui passe dans tous les pays du monde, aucun être humain ne fait l’unanimité.

De bonne ou de mauvaise foi, il ne manquera jamais de bien-pensants qui fonderont leurs critiques sur des amalgames, des jugements de valeur, des suspicions, mais également de faits tangibles. Il n’y a rien de plus normal, de plus humain.

Seulement au Sénégal, que l’on supporte ou dénigre, on semble en faire trop, aller trop vite en besogne.

On dit qu’il n’y a pas de fumée sans feu. On dit également qu’il ne faut pas juger un livre sur sa couverture.

Que Sarr se fiche que des gens soient homo ou qu’il le soit lui-même (Je ne dis pas qu’il l’est. J’en sais fichtre rien, et cela ne me regarde pas), ou encore qu’il aime toaster un verre de champagne à la main -lui que l’on croit être un musulman, puisqu’homonyme du prophète de l’Islam, mais lui dit dans son roman : « Je suis un pur animiste sérère qui croit d’abord aux Pangols et à Roog Sèn »-, ne m’intéresse pas. Qu’il se garde toutefois d’en faire le prosélytisme ou de mépriser, pour défaut d’ouverture d’esprit ou de progrès, ceux que cela gêne aux entournures. « La liberté s’arrête là où commence celle de l’autre. »

Et puis, qui sommes-nous pour porter des jugements sur les autres ?

Au pif, citons Michel Foucault dont nous aimons les écrits, notamment quand il prend fait et cause pour les oubliés de la société comme, les fous, les détenus. Lui était ouvertement homosexuel. De même que de très nombreux intellectuels disparus et contemporains. « Quand le sage montre la lune, l’idiot regarde son doigt », dit une sagesse chinoise.

L’homosexualité est une abomination au regard du Christianisme et de l’Islam. En tant que musulman, j’ai appris que Dieu absout tous les péchés, même l’homosexualité, à condition que la personne qui la commet se repente et arrête définitivement de s’y adonner. Le seul péché impardonnable dans la religion islamique demeure le « shirk » ou l’association.

Et pourtant dans notre cher pays, le Sénégal, elle est plus que banalisée. L’exemple le plus vrai, le plus empirique, que chacun d’entre nous peut vérifier, reste cette mauvaise habitude pour beaucoup de jurer au nom d’un saint ou d’une personne considérée comme tel, au lieu d’Allah. Avant de débuter tout acte ou action (rentrer dans une voiture, manger, enfiler ses vêtements, etc.), le nom du marabout est mentionné à la place d’Allah, N’est-ce pas de l’association ?

Or, la religion musulmane enseigne que l’association, plus gros péché s’il en est, mène à l’enfer. La médisance itou. Dieu nous en garde !

L’exception sénégalaise, disions-nous. Voici maintenant l’exagération sénégalaise.

PS : Je n’ai pas encore lu « Le devoir de violence » de Yambo Ouologuem, qui lui a valu le Prix Renaudot, à l’âge de 28 ans, pour son premier roman publié en 1968.

Mais les bribes, « bonnes feuilles », critiques, notes de lecture, coupures de presse, etc. de « Devoir de violence», que j’ai lus, m’ont fait plus penser à ce génial auteur malien, à qui le roman de Mouhamed Mbougar Sarr, en quelque sorte, rend justice. Écrivain accusé à tort de plagiat, invectivé par la critique à une époque marquée par le racisme et les stéréotypes culturels, Ouologuem ne s’est jamais remis de ce procès en sorcellerie, qui l’a rongé jusqu’à sa mort en 2017, à Sévaré, dans son Mali natal. Or, ce génie précoce, de ce qu’on en dit, était un écrivain au style révolutionnaire. Il a été dans certaine mesure le précurseur du « collage » en littérature, une technique d’écriture inédite, mais très utilisée en peinture. Notre Goncourt national, dans son roman, que je suis en train de lire, s’est beaucoup inspiré de ce style de prose déroutant, rythmique, dont on se délecte, et qui nécessite une qualité de grand lecteur, une maîtrise de la langue française et une grande habileté à imaginer et raconter des histoires.

Pour cela et pour son sacre, à 31 ans, Mouhamed Mbougar Sarr et « La plus secrète mémoire des hommes » réhabilitent définitivement Yambo Ouologem. Qu’il puisse enfin reposer en paix ! La paix des justes.