Le samedi 17 septembre, à 19h30, le tout nouveau Premier ministre, Monsieur Amadou Bâ nous annonçait avec fierté et enthousiasme que sa nouvelle équipe gouvernementale compte 8 jeunes. Huit jeunes ministres, sur trente-six (36). En d’autres termes, les jeunes constituent 22% de l’équipe gouvernementale, ce qui est certainement un progrès sans précédent. Mais, encore faudrait-il que ce progrès traduise la réalité démographique de notre pays ! L’âge médian au Sénégal est de 19 ans ; plus de 80% de la population sénégalaise ont moins de 40 ans.
Au-delà des discours et des actes de bonne volonté, une élite politique qui pense réellement à sa jeunesse commence à coup sûr par donner à cette dernière sa juste place dans les sphères de décisions publiques. Il n’est pas encore trop tard pour s’y mettre : une jeunesse sous-exploitée, en déperdition et abonnée au chômage n’est pas une fatalité !
On ne mesure pas encore l’immensité des conséquences de ce qui se joue dans le tournant que nous sommes en train de vivre. Un tournant marqué par des crises multiformes, un chômage plus que jamais élevé et une démocratie grippée, à bout de souffle.
Dans un passé récent, en octobre 2020, une pirogue avec à son bord 200 jeunes et enfants, a pris le large pour rejoindre clandestinement l’Espagne. Au niveau de Saint-Louis, son moteur explose. Lourd bilan, énorme émoi : 140 jeunes morts, noyés dans le désespoir qui les a poussés à tenter l’extrême !
La réponse à l’aventure incertaine comme dans ce cas, mais aussi aux exils de la haine, du suicide et de l’intolérance ne peut être purement répressive. Ou, simplement émotive. Au lieu des « mesurettes » et réformettes auxquelles on nous a habitués, la solution passera forcément par une transformation structurelle de notre société, engageant toutes les forces vives de la nation autour de 3 points phares.
D’abord, la jeunesse sénégalaise, dans sa diversité, doit avoir un plus facile accès à un système d’éducation et de préparation à l’emploi plus efficace et opérationnel. Le système actuel est caduque et va à contre-sens des valeurs et compétences demandées dans le monde de l’entreprise. Il rapproche plus le jeune du désespoir qu’il ne l’insère socialement et professionnellement dans la société. Il éloigne plus le jeune de l’entreprise qu’il l’en approche !
Corriger ce système prendra du temps, c’est pourquoi il faut s’y prendre dès à présent !
Chaque année passée avec ce système, ce sont des dizaines de milliers de jeunes à qui on enlève toute lueur de succès et d’épanouissement. Corriger ce système suppose une révolution, un bouleversement de la société, en particulier de l’Etat qui ne doit pas se réduire à une juxtaposition de guichets cloisonnés, auxquels chacun vient s’adresser, aux divers moments de sa vie.
Ensuite, cette jeunesse exige une place de plus en plus prépondérante dans l’espace public et les sphères de décisions. D’ailleurs, en général, les grands progrès restent le fait de jeunes. Martin Luther King avait 25 ans lorsqu’aux côtés de Rosa Park, il mène le boycott des bus de Montgomery. Nelson Mandela avait le même âge lorsqu’il entre au sein de l’ANC (Congrès National Africain) pour lutter contre la domination de la minorité blanche dans son pays. Aline Sitoé Diatta avait 20 ans lorsqu’elle menait la désobéissance civile en Casamance contre l’administration coloniale.
En particulier, dans nos institutions représentatives et les instances dirigeantes du pays, autant dans le public que dans le privé, nous devons y voir une représentation de la jeunesse proportionnellement à son poids démographique. La société ne doit plus servir aux jeunes des lieux successifs d’indifférence, mais plutôt des espaces de créativité, d’épanouissement, de dépassement de soi, d’autoréalisation et d’utilité sociale. Là encore, plusieurs forces de la société doivent se parler pour garantir une vie sociale, communautaire, sportive, associative, syndicale et politique épanouissante à notre jeunesse.
Enfin, les jeunes sénégalais demandent à vivre dans un cadre sécurisant, tant dans le monde réel que dans le monde virtuel. Il faut davantage protéger la jeunesse face à l’insécurité grandissante, mais aussi, face à toutes les autres formes de menaces qu’elle côtoie au quotidien, amplifiées par la transformation digitale de notre société. Ces menaces ont pour nom banditisme, criminalité, trafic de tout type, proxénétisme, cybercriminalité, exposition à des produits illicites et nocifs, etc.
Pour cela, il faudra développer davantage les alternatives proposées par la sécurité collaborative qui met le citoyen au cœur du dispositif de sécurité et inviter les forces de défense à être plus présent sur le digital.
Voilà 3 dimensions phares sur lesquelles il est absolument crucial d’agir là et maintenant, avec l’intensité nécessaire. Pendant qu’il est encore temps, transformons structurellement notre société en faveur de la jeunesse. Donnons-nous les moyens de faire bouger les lignes là, tant qu’il est encore possible de le faire. Ce, dans la paix. Ce, avec l’esprit de dialogue qui caractérise notre pays.
Aujourd’hui, nous voilà au lendemain d’un renouvellement des instances majeures de la vie publique de notre pays : Primature, Gouvernement, Collectivités territoriales, Parlement et Haut Conseil des Collectivités territoriales. C’est le prétexte que nous saisissons pour formuler 10 recommandations.
- Réconcilier et reconnecter la jeunesse avec les institutions de la République, principalement le Parlement, le Gouvernement et l’Autorité judiciaire et les collectivités territoriales
- Faciliter et promouvoir un accès conséquent des jeunes aux instances dirigeantes privées et surtout publiques
- Promouvoir un libre exercice de la citoyenneté chez les jeunes
- Faciliter l’accès à un système éducatif et de formation professionnelle opérant à toutes et à tous, à travers des formalités et des formats différents, tenant compte de nos diversités et spécificités culturelles
- Faciliter l’accès à l’emploi et à un revenu décent à toutes et à tous
- Protéger les jeunes, notamment les femmes et les filles
- Lutte contre la corruption, sous toutes ses formes
- Avec toutes les parties prenantes, poser sincèrement une réflexion autour de notre modèle de société, de notre démographie et de la place des femmes
- Ne laisser personne au bord de la route dans la marche vers l’émergence promise, pas les femmes, à coup sûr, mais pas non plus les personnes en situation de handicap, encore moins les ruraux
- Garantir un cadre de vie propice à l’épanouissement et à la créativité à travers une politique respectueuse de notre environnement et qui facilite l’accès à des infrastructures sportives et culturelles.
Ousseynou Gueye, Entrepreneur social